À l’issue du Congrès photovoltaïque suisse organisé par Swissolar, son directeur Mathias Egli livre une lecture sans détour des défis qui attendent la branche solaire : gouvernance du réseau, stabilité, coûts – mais aussi solutions. Un entretien lucide et engagé.
Interview: Pierre Schoeffel
Photos: Marc Schoeffel

La branche solaire couvre désormais 14 % de la consommation d’électricité. Cette évolution vous a-t-elle surpris ?
Non. Les pionniers du secteur ont toujours cru à cette croissance. Ce qui est devenu réalité aujourd’hui n’était autrefois qu’une vision – mais sans cette conviction, nous n’en serions pas là. Le fait que le développement ait même dépassé les prévisions confirme que nous sommes sur la bonne voie.
Quel impact cette croissance a-t-elle sur l’ensemble du système énergétique suisse ?
Un impact très important. La production solaire croissante modifie la dynamique du réseau et impose de nouvelles exigences en matière de planification, de prévision et d’infrastructure. Nous sommes contraints de repenser le système énergétique dans son ensemble – avec plus de flexibilité, de numérisation et de pilotage décentralisé.
La nouvelle loi sur l’électricité prévoit 35 TWh issus de sources renouvelables d’ici 2035. Cet objectif est-il réaliste ?
Oui, surtout parce qu’il y a désormais un engagement politique clair. La loi donne une direction au secteur et montre également, au niveau sociétal, que la transition énergétique est voulue – et réalisable, à condition de la mettre en œuvre avec détermination.
Quelles nouvelles opportunités la loi sur l’électricité offre-t-elle concrètement à l’énergie solaire ?
Avant tout, elle ouvre la voie aux communautés locales d’électricité et aux regroupements virtuels. Ces nouveaux modèles permettent d’utiliser localement l’électricité produite sur place – de manière plus efficace, plus compatible avec le système, et mieux ancrée socialement. Cela ouvre de nouveaux modèles d’affaires et renforce l’acceptation.
Quels sont actuellement, selon vous, les principaux défis pour atteindre ces objectifs ?
L’intégration au réseau. Les infrastructures peinent souvent à suivre le rythme des nouvelles installations, et les modèles de prévision des fournisseurs d’énergie ne sont pas encore assez précis pour cette nouvelle réalité. Cela rend le système instable.
Que faut-il mettre en place pour exploiter pleinement le potentiel de la nouvelle loi sur l’électricité ?
Une plus grande flexibilité dans la topologie du réseau, moins d’obstacles pour la création de communautés électriques locales (CEL) et un meilleur mécanisme de rémunération pour les comportements bénéfiques au réseau. En résumé : un cadre réglementaire qui encourage l’innovation au lieu de la freiner.
Quels sont, selon vous, les trois points les plus critiques de cette loi qu’il faudrait encore améliorer ?
Premièrement, la forte dépendance des règles à la topologie du réseau – cela limite considérablement les possibilités de regroupements virtuels. Deuxièmement, les restrictions imposées aux CEL, qui empêchent ces modèles de déployer tout leur potentiel. Et troisièmement, la rémunération minimale pour le courant injecté : elle ne crée aucun véritable incitatif à alléger intelligemment le système ou à intégrer stockage et autoconsommation de manière rentable.

Comment évaluez-vous le modèle actuel de rémunération minimale pour l’électricité injectée ?
C’est un système rigide. Les producteurs reçoivent un tarif identique, qu’ils injectent à un moment de forte ou de faible demande. Cela ne correspond pas à la logique d’un système électrique efficace. Ce qu’il nous faut, ce sont des modèles de rémunération dynamiques, indexés sur l’état du réseau ou le prix du marché. C’est ainsi que l’on peut piloter le système via des signaux tarifaires et de charge.
Pouvez-vous préciser ce que cela implique concrètement ?
Aujourd’hui, un producteur photovoltaïque est rémunéré à un tarif fixe, indépendamment du moment de l’injection. En d’autres termes, qu’il injecte à midi – au pic de production – ou en début de soirée, le tarif reste le même. Ce signal économique est totalement inadapté à la logique du système électrique. Nous avons besoin de tarifs dynamiques, fondés sur les besoins du réseau. Cela signifie une rémunération plus élevée en période de forte demande et plus basse en cas de saturation locale. On peut s’inspirer des prix du marché de l’électricité intra journalier. Le Parlement travaille sur ces questions dans le cadre de l’article 15.
De quoi est-il principalement question dans cet article 15 ?
Il introduit une logique différenciée de rémunération, basée sur la disponibilité réelle de la demande. C’est une rupture avec le modèle statique actuel. La rémunération minimale ne serait plus garantie de manière rigide, mais pourrait être ajustée en fonction des prix du marché. En d’autres termes : le producteur serait incité à injecter lorsqu’il est utile au système, et à favoriser l’autoconsommation ou le stockage lorsque ce n’est pas le cas. Par ailleurs, la garantie d’une rémunération minimale resterait ancrée dans la loi pour assurer la sécurité des investissements.
Vous évoquiez également la topologie du réseau et la nécessité d’un développement intelligent de celui-ci. Que voulez-vous dire par là ?
Un développement intelligent du réseau ne signifie pas simplement poser davantage de câbles, mais planifier de manière ciblée et fondée sur les données. Dans les zones rurales, nous atteignons déjà des limites techniques. Grâce à une gestion flexible de l’injection – par exemple en limitant la puissance injectée à 50 %, avec compensation – on peut souvent éviter des extensions coûteuses. Il faut faire preuve de créativité technique plutôt que de tout renforcer uniformément. Il y a aussi le défi des prévisions, qui doivent devenir plus précises et automatisées pour stabiliser le système global.
Pourquoi la qualité des prévisions de production d’électricité est-elle un enjeu différent aujourd’hui ?
Les prévisions sont essentielles pour garantir l’équilibre permanent entre production et consommation. Avec les nouvelles formes de production, les modèles doivent être améliorés. Le facteur météo, par exemple, a une influence bien plus grande qu’auparavant. Les erreurs de prévision entraînent des coûts d’équilibrage. Il faut traiter automatiquement et en temps réel les données météorologiques, de consommation et d’injection. Sans cette automatisation, nous perdrons le contrôle de la stabilité du réseau. Cette technologie existe déjà, mais elle n’est pas encore utilisée à grande échelle.
Quel rôle joue l’autoconsommation dans la rentabilité des installations solaires ?
Un rôle central. Aujourd’hui, la rentabilité ne passe plus tant par l’injection que par l’utilisation maximale sur place – que ce soit dans un ménage, une entreprise ou une communauté énergétique. Cela demande une nouvelle approche de la planification, plus de technologies de pilotage et souvent aussi des solutions de stockage intégrées dès le départ.
Cela permettrait donc d’éliminer de nombreuses anomalies actuelles. Pouvez-vous en citer quelques-unes ?
Oui, ces anomalies sont structurelles. Les installations sont souvent configurées selon une logique statique lors de leur mise en service, et ne sont ensuite jamais réadaptées. Toute la production excédentaire est injectée automatiquement, sans gestion temporelle ni arbitrage économique. Cette inertie vient de l’absence d’incitatifs tarifaires et du manque d’outils ou de compétences pour ajuster finement la production.
Un autre exemple tient à l’héritage technologique : de nombreux systèmes centralisés (commandes pour pompes à chaleur, chauffe-eau, etc.) sont encore pilotés par des signaux nocturnes, hérités de l’ère du nucléaire. Cela induit une consommation inadaptée aux conditions actuelles du marché – on consomme davantage la nuit, alors que l’électricité est meilleure marché en journée.
La création de CEL permet une utilisation locale de l’énergie. Quels sont les obstacles actuels à leur mise en œuvre ?
À partir de 2026, il sera possible non seulement de regrouper les consommateurs en autoconsommation collective (RCP), mais aussi de commercialiser localement l’électricité produite dans tout un quartier ou une commune. Malgré ces opportunités, la réglementation devrait encore être simplifiée. Il faudrait notamment permettre aux communautés de s’étendre sur plusieurs niveaux de réseau. Il manque aussi l’expérience en matière de facturation et d’échange de données avec les gestionnaires de réseau de distribution. Des plateformes numériques et des interfaces standardisées doivent encore être mises en place pour garantir un fonctionnement efficace.
Comment évaluez-vous les modèles de contracting dans le contexte actuel du marché ?
Le contracting est particulièrement intéressant pour les systèmes complexes, car il regroupe financement, technique et exploitation en un seul service. Cela réduit les barrières pour les maîtres d’ouvrage et permet une gestion énergétique professionnelle. Ainsi, on peut combiner de manière systématique le stockage, la commande et l’optimisation – souvent plus efficacement que si le propriétaire devait tout coordonner lui-même.
La technologie solaire progresse dans le monde entier, mais une grande partie des capacités de production de panneaux se trouvent en Chine. Quel regard portez-vous, en tant que Suisse, sur cette dépendance ?
Attention au terme de « dépendance » : une installation photovoltaïque produit localement pendant plus de 30 ans. On ne peut donc pas vraiment parler de dépendance. Cela dit, il s’agit d’un réel défi en matière de politique industrielle. Plus de 90 % de la chaîne de valeur photovoltaïque mondiale est aujourd’hui contrôlée par la Chine – du silicium jusqu’au module. Pour un pays comme la Suisse, traditionnellement fort dans la recherche et les technologies de spécialité, cela signifie qu’il faut miser sur des niches où nous sommes technologiquement en avance – par exemple les connecteurs, les câbles ou le photovoltaïque intégré aux bâtiments.
En parallèle, une stratégie européenne est nécessaire pour rapatrier une partie des capacités de production. Il ne s’agit pas de copier la Chine, mais de réduire notre dépendance et de construire des chaînes d’approvisionnement résilientes. Car un système reposant presque exclusivement sur un seul pays n’est pas durable à long terme.
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Source du texte: Pierre Schoeffel
Source de l'image: Marc Schoeffel
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