Julien Marguet, Head of Operations chez Siemens en interview
Julien Marguet nous a reçu dans les bureaux de Siemens à Renens. Une partie de son équipe, en charge de la réalisation des projets et services pour le canton de Vaud, est positionnée dans ce bâtiment dans lequel l’éclairage naturel est utilisé au mieux pour procurer une ambiance agréable.

Julien Marguet, Head of Operations chez Siemens, maîtrise l'art de l'automation du bâtiment depuis plus de deux décennies. Son parcours, riche et passionnant, est porté par un enthousiasme intact lorsqu'il évoque ce domaine complexe. Chaque mot qu’il prononce témoigne d'une expertise profonde, partagée avec spontanéité.


Auteur: Pierre Schoeffel

Photos: Marc Schoeffel


Pour vous, comment peut-on définir l’automatisation des bâtiments ?
JM - J'ai parfois l'habitude de dire que l'automation des bâtiments modernes permet d'éviter d'avoir des dizaines de personnes occupées à gérer toutes les installations techniques. Sans ces systèmes, il serait nécessaire de superviser en temps réel toutes les données et les installations, ce qui entraînerait une consommation de ressources colossale. Les gens ne réalisent pas toujours cela. Lorsque nous parlons avec des clients de nos services, notamment pour définir le niveau de besoin en termes de contrat de services, ils disent parfois : «Si le système tombe en panne, nous gérerons manuellement jusqu'à votre intervention.» Il est cependant difficile de leur faire comprendre que, humainement, il est presque impossible de prendre le relais de ces systèmes tant ils sont interconnectés et doivent agir de manière rapide et coordonnée. Si l'automation n'existait pas dans les bâtiments modernes, il faudrait recourir, pour un résultat dégradé, à des méthodes anciennes, avec des «rondiers» techniques qui ajustaient manuellement les installations en fonction des besoins du moment, chaque matin et chaque soir, à l'aide de feuilles de paramètres.

Aujourd'hui, l'automation a évolué et les systèmes sont devenus non seulement autonomes, mais aussi de plus en plus prédictifs. Ils réagissent non seulement aux conditions actuelles, mais le pilotage de certaines installations à forte inertie nécessite qu’ils anticipent également les conditions climatiques sur les 12, 24 ou 48 heures à venir. En effet certains systèmes, tels que les dalles actives, permettent de stocker de l'énergie thermique (chaud ou froid) dans le béton. Il est inutile de les ajuster ponctuellement, car leur inertie rend toute adaptation immédiate inefficace. Cela nécessite donc une anticipation précise grâce à des prévisions météorologiques, comme celles fournies par MétéoSuisse.

Quelles sont les installations techniques les plus communément pilotées ?
JM - En termes d'automation du bâtiment (ADB), la base consiste à gérer le chauffage, la ventilation et la climatisation (CVC). Malheureusement, l'organisation suisse de la construction basée sur les codes CFC implique souvent que deux ingénieurs distincts, l'un pour le CVC et l'autre pour le courant faible (éclairage et stores), soient responsables chacun d’une partie, ce qui entraîne une planification séparée des systèmes. Idéalement, la gestion de toute la production et la distribution d'énergie, ainsi que de la ventilation, devrait être associée à la gestion des systèmes de gestion des stores et de l’éclairage.

On observe toutefois une évolution : certains bureaux d’ingénieurs, bien qu’issus du monde CVC, commencent à proposer également dans leurs projets cette approche intégrale, bien que cela reste une minorité de projets. Lorsque les systèmes restent séparés, le problème persiste parfois même jusqu'à la supervision, ce qui complique leur exploitation et l'atteinte des objectifs énergétiques. En effet, il est crucial de pouvoir, par exemple, obscurcir les façades en fonction du rayonnement pour limiter les besoins en refroidissement.

Des systèmes intégrés, tels que ceux développés par notre entreprise avec la gamme DRA, «Desigo Room Automation», permettent de piloter de manière transverse à la fois le CVC, mais aussi l'éclairage et les stores. Bien que nous ne soyons pas les seuls sur ce créneau, il reste encore des résistances dues à d'anciennes habitudes et à des approches traditionnelles qui freinent une adoption généralisée.

Pouvez-vous résumer les avantages qu’en tirent les exploitants ?
JM - L'utilité de l’ADB pour l’exploitant est une notion complexe. Lorsqu’on l’évoque, il est difficile de la résumer en trois mots, car le sujet est vaste et plein de nuances. L’ADB peut parfois paraître inutile ou trop coûteuse jusqu’au moment où un dysfonctionnement apparait, révélant à quel point elle est essentielle. Pour le maître d’ouvrage, la question de l’automation revient souvent à comprendre et justifier son coût, ainsi que l'importance de la prévoir dès le début d'un projet. Ce qui est crucial, c’est de bien définir les besoins. De plus en plus, nous parlons de co-création, c’est-à-dire que les systèmes doivent être pensés pour atteindre un objectif précis, souvent en collaboration étroite avec l'exploitant. Trop souvent, les projets sont conçus par des ingénieurs et des architectes, puis remis aux exploitants sans qu'ils aient été consultés. Cela peut créer des systèmes inadaptés, car les besoins de l'exploitant n’ont pas été intégrés en amont.

Aujourd’hui, la discussion porte sur l’efficacité énergétique…
JM - Tout à fait ! Un bon système d’ADB doit être un outil efficace pour l’exploitant, j’insiste sur le mot « outil », il ne doit pas être une contrainte. Il doit permettre d'assurer le bien-être des utilisateurs ainsi que la conformité aux normes en vigueur tout en répondant aux responsabilités sociétales, telles qu’une utilisation optimale des ressources énergétiques. Pour les utilisateurs, l’automation est avant tout perçue comme un outil garantissant leur confort et leur bien-être. Elle assure, par exemple, un renouvellement d’air suffisant, ce qui est essentiel pour éviter des niveaux trop élevés de CO2 ou d'autres problèmes pouvant mener à des inconforts ou même à des problèmes de santé graves, comme des maux de tête ou des épisodes d’hypoxie.

Un cas réel récent illustre cette problématique : dans une halle de production, une mauvaise circulation de l’air a causé des malaises parmi les ouvriers. L’installation de ventilation n’était pas adaptée à l’utilisation qui était faite des locaux, provoquant une accumulation dangereuse de CO2. Ce genre d'incident montre l'importance cruciale d’un système bien pensé pour l’exploitant et les utilisateurs.

Pour l’exploitant, un système d’automation du bâtiment au goût du jour est un gage de rentabilité et de durabilité. Il est la colonne vertébrale technique du bâtiment et contribue ainsi à maintenir la valeur du bâtiment. Un système d’automation obsolète peut dévaluer la valeur de l’immeuble d’un montant supérieur à la valeur de l’investissement requis pour le moderniser.

Dès lors, les investisseurs prennent de plus en plus conscience de l'importance de maintenir à jour ces systèmes. Certains demandent même des projections de dépréciation sur 20 ans pour planifier les réinvestissements nécessaires. Cette vision de l’automation comme un actif stratégique est relativement nouvelle, mais elle reflète bien l’évolution des mentalités. Bien que ces systèmes n'aient pas de valeur marchande propre, ils influencent significativement la valorisation du bâtiment.

Les systèmes d’automation du bâtiment sont souvent perçus comme des investissements (CAPEX) nécessaires pour maîtriser les coûts d’exploitation (OPEX). En optimisant l’utilisation de l’énergie et en limitant les gaspillages, ces systèmes augmentent la rentabilité du bâtiment. Cette rentabilité influence directement la valeur du bien sur le marché immobilier.

« Le meilleur système est celui qui passe inaperçu »


Et l’utilisateur final, aujourd’hui il sait mieux apprécier les avantages
JM - La question de l’ADB pour l'utilisateur est délicate, car le meilleur système est celui qui passe inaperçu. Un bon système d'automation est, idéalement, ignoré par les utilisateurs, car il fonctionne si efficacement qu'il ne se fait pas remarquer. Cela dit, il existe de nouveaux systèmes qui prennent en compte les besoins individuels.

Par exemple, il y a une vingtaine d'années, nous avons commencé à piloter les systèmes d'éclairage et de stores dans certains bâtiments. Nous avons imposé des règles strictes où les stores servaient à réguler l’éclairage et à protéger du soleil, parfois de façon rigide, en bloquant la possibilité de contrôle manuel par l’utilisateur. Cependant, cette approche a été mal accueillie et, partout où de tels systèmes étaient mis en place, ils ont dû être reprogrammés pour redonner à l'utilisateur une certaine liberté d'action.

Désormais, nous avons adopté une autre approche avec notre dernière génération de systèmes, comme la DRA, qui utilise de petits ‘’panels’’ à l'entrée des bureaux permettant aux utilisateurs de contrôler les stores, l’éclairage et même les consignes de température. L'utilisateur reste relativement libre, mais est sensibilisé par des indicateurs visuels, tels qu'une feuille verte ou rouge, similaires à ce que l'on trouve dans les véhicules. L'idée est d'impliquer l'utilisateur et de lui montrer l'impact de ses choix. Dans les bâtiments tertiaires, c’est encore plus pertinent, car l'utilisateur ne paie pas directement la facture énergétique. Il peut vouloir plus de confort sans être influencé par le souci du coût de l’énergie en découlant. Nous cherchons donc à responsabiliser les utilisateurs par des mécanismes incitatifs, plutôt que de les contraindre.

Pour le reste, le pilotage des installations de chauffage, de ventilation et de climatisation doit rester transparent. L'utilisateur doit simplement se sentir bien sans se demander comment cela est rendu possible. L’automation du bâtiment, dans ce cas, agit en arrière-plan, garantissant un confort optimal selon des paramètres établis.

De plus, de nombreux clients souhaitent désormais intégrer l’automation du bâtiment dans un environnement logiciel plus vaste, appelé le Building Operating System. Cela permet de fournir des services supplémentaires, comme des cartes de chaleur permettant de mieux comprendre l’utilisation de leurs surfaces. Ces services, bien qu’indirectement liés à l’ADB, enrichissent l’expérience utilisateur, en partie grâce aux données générées par des capteurs déjà présents dans le bâtiment pour les asservissements CVC.

En ce qui concerne la mise en place de capteurs IoT, il convient de distinguer les systèmes ‘de base’, qui doivent avoir une durée de vie d’environ 20 ans, des systèmes additionnels. Les capteurs IoT, souvent issus de startups, peuvent rapidement devenir obsolètes. Mon avis, dont je respecte le fait que tout le monde ne le partage pas, serait de dissocier ces technologies, afin que le cœur du système reste pérenne sur le long terme, tandis que les évolutions rapides liés au ‘cas d’usage smarts’ peuvent être intégrées rapidement dans les couches supérieures, typiquement au niveau des systèmes de gestion.


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