40 ans de passion pour la formation professionnelle

Marc Kaiser, coordinateur Forsiel interviewé par Domotech
Marc Kaiser, coordinateur Forsiel interviewé par Domotech

La formation professionnelle fait partie des sujets prioritaires traités dans Domotech. Nous avons rencontré Marc Kaiser qui connait le sujet du bout des doigts. Il en parle avec un enthousiasme communicatif au cours d’une conversation détendue.


Auteur : Pierre Schoeffel
Photos : Marc Schoeffel


Cela fait exactement 40 ans que tu es actif dans la formation professionnelle et tu as encore l’enthousiasme du débutant. Tu es tombé dans la marmite quand tu étais petit ?

Peut-être, mais ça a agi un peu plus tard.
En fait, j’ai un diplôme d’ingénieur électricien et j’ai commencé ma carrière dans les machines à électroérosion chez Charmilles Technologies. J’étais embauché au service après-vente. J’ai eu la chance de pouvoir mettre en service des machines dans de nombreux pays et donc de former les utilisateurs. Cette activité de formation m’a effectivement passionné. J’ai vécu trois années très intéressantes.

Puis tu es passé à autre chose ? Comment as-tu rejoint le monde de l’électricité du bâtiment ?

Très simplement. Mon père avait une entreprise d'installation électrique avec 80 employés, il s’agissait de Kaiser-Électricien. En 1984, j’ai décidé de commencer à y travailler dans le but de prendre sa succession. Je disposais de tous les atouts pour reprendre l’entreprise. J’avais le titre de Personne de Métier ainsi que la concession A, ce qui nous permettait d’installer les centrales téléphoniques des PTT.
On m’a immédiatement proposé de faire de la formation au Centre Professionnel de Genève. Ils étaient à la recherche d’un formateur.

Dans la vie, il y a parfois des situations qui nous poussent vers des chemins que nous n’avions pas imaginés. La formation c’est ta vocation, n’est-ce pas ? Tu as vite accepté ?

J’ai accepté avec plaisir. Ma carrière de formateur a débuté à ce moment-là avec quelques heures de cours donnés aux apprentis du Centre. Ce poste a pris de plus en plus d’importance. Il me plaisait de plus en plus.

Après 5 ans d’activité dans l’entreprise de mon père, j’ai pris la décision de me lancer à 100% dans la formation.

C’était un coup dur pour ton père…

Franchement, pour lui il n’y avait pas de problème. Il savait bien que la vie d'entrepreneur est parfois compliquée. Il a rapidement vendu son entreprise après mon annonce. J’avais fait un choix, je ne l’ai jamais regretté. Pour revenir à la marmite : c’est peut-être dans les gènes familiaux. Mon père donnait des cours à ses monteurs et futurs maîtrisés… chez nous à la maison ! Il a compris que c’est mon chemin.

Quand tu as vraiment trouvé ton chemin, « ça déroule tout seul ». Tu confirmes cela ?

Absolument. C’est très juste. Les événements se sont précipités. On m’a rapidement confié une mission extraordinaire, celle de créer un support de cours d’électrotechnique. Il s’agissait d’un travail d’équipe. J’étais le délégué de Genève au même titre que cinq autres collègues de Suisse Romande.
A l’époque, il existait un livre qui n’était plus édité, il fallait donc créer un nouveau support.
J'ai beaucoup appris au contact des membres de l’équipe de rédaction. Ils étaient plus âgés que moi, j’avais à peine 30 ans. Le livre que nous avons rédigé en commun est devenu un best-seller. Il l’est encore aujourd'hui. Il traite des bases de l'électricité en abordant les notions fondamentales, les différentes grandeurs, la résistance électrique, l'énergie, la puissance, le rendement, les effets calorifiques du courant, les sources chimiques de tension, etc.

« On m’a rapidement confié une mission extraordinaire, celle de créer un support de cours d’électrotechnique »

Ta passion pour le transfert du savoir a-t-elle également créé le besoin de suivre toi-même de nouvelles formations ?

En effet, vers 1995, je me suis lancé dans des études qui m’ont permis d’obtenir le brevet de télématicien. Cette formation avait été mise en place par l’USIE, l’actuelle EIT.swiss. Elle est remplacée aujourd’hui par celle d’informaticien du bâtiment.

Nous nous trouvons dans une salle de classe de l’ifage. Comment es-tu arrivé ici ?

L’histoire remonte à 1996, date à laquelle on m’a proposé le poste de responsable pédagogique aux CIG, les Cours Industriels de Genève.
L’ifage est une Fondation pour la formation des adultes. Elle a été créée en 1998 et résulte de la fusion des Cours commerciaux de Genève (CCG) et des CIG. Elle a d’'abord été nommée Institut de formation des adultes de Genève - d'où le nom « ifage ».

Je me suis donc retrouvé en 1998 dans une nouvelle structure et c’est là que j’ai mis en place les formations menant au brevet maîtrise et dans un second temps, les formations de chef de chantier, de chargé d’affaires et d'autorisations limitées.
Parallèlement, chez ifage, nous avons également mis en place des formations continues à la carte. Nous offrons à Genève plus d’une vingtaine de formations différentes dans la filière Installations électriques.

Depuis les nombreuses années que je te connais, tu t’engages au sein de nombreuses associations professionnelles, peux-tu nous en parler ?

Volontiers, mais avant cela, puisque tu viens d’évoquer les associations professionnelles, je tiens à souligner et c’est vraiment important, que toutes les formations que nous mettons en place, le sont en partenariat avec les associations professionnelles.
Au niveau local, nous travaillons en partenariat avec EIT.geneve et TECHBAT. À l’ifage, nous sommes à disposition de ces associations pour proposer des formations certifiantes. Cela se fait de manière privilégiée avec le CIEG, qui est une émanation des deux associations pour la formation. Le CIEG s’occupe notamment des cours d’introduction.

Depuis 40 ans, tu donnes des cours destinés à un public allant des apprentis jusqu’aux « maîtrisés ». Tu connais les besoins en matière de formation et les débouchés. Tu connais bien les avantages de la formation duale. Pourtant elle est en perte de vitesse. Qu’en penses-tu ?

À Genève, la moyenne d’âge des CFC qui commencent un apprentissage est de 18 ans environ. Ils passent un peu de temps dans un collège puis se rendent compte que ce n’est pas leur tasse de thé. Il leur a fallu un temps de prise de conscience. Il est vrai que le cursus démarrant par un apprentissage a un peu moins la côte. A titre d’anecdote, j’ai formé des milliers d’apprentis et je n’ai moi-même pas de CFC. J’avais, à l’époque, moi aussi, choisi une autre voie que la formation duale. Les associations professionnelles s’emploient actuellement à mettre en place des orientateurs qui sont des professionnels. Les effets sont palpables, l’apprentissage intéresse davantage la jeunesse. Ça bouge.

Qu’est-ce qui te motive ?

Les étudiants, je fais connaissance avec eux en première année et j’en retrouve certains après plusieurs années, pour terminer avec la maîtrise. C'est merveilleux de voir cette progression.

Ça crée forcément des liens et un esprit « Famille ». Tu transmets ton savoir avec passion.

Oui, la passion est intacte. J’ai trouvé ma voie. Certes, je donne de ma personne aux étudiants et j’insiste sur le fait que je reçois beaucoup en retour. Cela a toujours été le cas durant mes 40 ans d’activité.

 

« C'est merveilleux de voir la progression des étudiants. »

Ton activité au sein des associations est-elle tout aussi passionnante ? Tu es président de la CERPE, peux-tu nous présenter cette commission ?

Oui, il s’agit de la Commission de formation et d'Examens Romands Pour Électricien. Elle a été créée en 2003 dont j'ai été membre fondateur à l’époque où l’USIE (actuellement EIT.swiss) a souhaité que les examens écrits soient organisés par les écoles. En Romandie, nous nous sommes tous regroupés. La CERPE compte des représentants de tous les cantons romands. Actuellement nous avons la chance de disposer de 120 experts. Il s’agit d’un formidable gage d’impartialité, les sujets d’examens pour la formation supérieure sont préparés ensemble. Aucune école n’est privilégiée et les candidats sont tous à la même enseigne.

Et ça marche ?

Il s’agit d’un profond motif de satisfaction, la CERPE fonctionne parfaitement. Nos collègues suisses alémaniques s’étonnent souvent du fait que cette cohésion perdure de la sorte depuis 20 ans. Le fait d’organiser les examens et ensuite de se réunir sur place pour effectuer immédiatement les corrections crée nécessairement des liens. Nous nous connaissons bien, il règne un état d’esprit tout à fait particulier à la CERPE. L'équipe est formidable.
D’ailleurs les membres de la Commission logistique partant en retraite reçoivent une serpe d’or, peinte par nos soins. C’est symbolique.

C’est l’histoire du petit village gaulois transposée dans la vraie vie : vous vous regroupez pour être plus forts.

L’histoire s’est d’ailleurs répétée avec succès avec FORSIEL. En choisissant ce sigle, nous souhaitions d’emblée qu’il exprime la notion de force, notre capacité à faire fort ensemble mais cette fois-ci pour la formation.

Alors que la CERPE prépare et organise les examens, FORSIEL a pour mission d’assurer les cycles de formation. C’est parti comment ?

La difficulté rend inventif. Vers 2010, les différentes écoles romandes se trouvaient dans l’impossibilité d’assurer des cours menant au diplôme fédéral d’installateur électricien.

Or pour répondre aux exigences de l’OIBT concernant l’obligation qu’ont les entreprises de disposer d’une « personne de métier » pour 20 électriciens, il faut des diplômés. À partir du moment où l’on n’est plus en mesure d’assurer leur formation on sait que les entreprises d’installation électrique auront vite un problème. Il fallait agir vite et bien.

Vous avez utilisé une recette qui fonctionnait bien.

C’est tout à fait cela. Sous l’impulsion des associations professionnelles nous avons organisé des rencontres entre les centres de formation pour trouver une solution. Nous avions 4 écoles autour de la table : Romandie Formation, l’actuelle EIT.valais, le CPNE (Centre de formation Professionnelle Neuchâtelois) et bien entendu, ifage. Le CEFF, le Centre de Formation Berne Francophone s’est joint à nous il y a quelques années. J'ai trouvé l'équation qui a permis de créer FORSIEL, FOrmation Romande Supérieure des Installateurs Électriciens.

FORSIEL est donc un groupement de centres de formation et à l’origine de sa création se trouve donc une idée simple.

Simple et difficile à mettre en œuvre. Pour bien illustrer la situation, nous allons procéder par analogie. Imaginons que les entreprises d’installation électrique ne trouvent plus suffisamment de travail pour fonctionner. Les 5 entreprises principales de Genève se rencontrent et trouvent une solution pour assurer leur pérennité et survivre. Elles prennent la décision suivante : aucune ne réalise une installation complète : l’une installe l’électrode de terre, une autre le courant fort, la troisième réalise le courant faible, la quatrième l’alarme et la dernière la détection incendie.
Voilà la solution : chaque centre de formation prend un module en charge et ça tourne.

Par conséquent, chaque centre de formation a sa spécialité

Exactement et je dirais que nous travaillons dans l’excellence parce que plus on va répéter le module, plus le formateur sera au point. Au lieu de tout enseigner sur une période de 3 ans, l’école dispense un cours, son cours, tous les ans.
Je dis souvent que la force de FORSIEL c’est sa force. Les formateurs restent les mêmes, il y a une grande constance de leur part. De plus, ils ont l’avantage de bien pouvoir échanger avec les membres de la CERPE et pour certains sont experts.
FORSIEL est là pour dynamiser la formation, principalement celle menant à la maîtrise puisque nous manquons d'étudiants.

Vous êtes les seuls en Suisse à fonctionner de la sorte ?

Oui notre regroupement est unique en son genre dans notre domaine d’activité. Nous en sommes d’ailleurs très fiers depuis plus de 10 ans. C'est une des plus belles réussites de ma carrière.

 

« FORSIEL est unique en son genre dans notre domaine d’activité. C'est une des plus belles réussites de ma carrière. »

Le problème de manque d’apprenants ou d’étudiants pour les autres formations proposées se pose-t-il ou risque-t-il de se poser également ?

Je ne pense pas. Pour le moment nous sommes plutôt dans une phase ascendante qui compense les problèmes posés par l’épisode covid. Cela se régularisera assez rapidement.
En revanche, nous avions un sérieux problème avec la formation des électriciens/nes chefs/fes de projet en installation et sécurité (BPEL). Les personnes titulaires du brevet ont l’autorisation de contrôler dans le sens de l’OIBT.
À l’origine, la formation de contrôleur et de chef de projet se faisaient séparément. Il y a 5 ans, les deux spécialités ont été regroupées en une seule formation débouchant sur un seul examen.
Cela a rebuté beaucoup de jeunes souhaitant uniquement disposer de l’autorisation de contrôler. Nous nous sommes trouvés face à une pénurie de jeunes contrôleurs et avons donc sollicité EIT.swiss pour y remédier.

La solution est trouvée ? Le problème de manque de contrôleurs est-il en passe d’être résolu.

Oui, c’est la voie pragmatique qui a été choisie. La formation est subdivisée en plusieurs modules. Nous avions émis l’idée de donner l’autorisation de contrôle aux candidats à l’examen ayant réussi l’ensemble des modules « sécurité ». Il s’est formé un consensus rapide autour de cette idée. Elle est actée par le Conseil Fédéral depuis janvier 2024.

Vous en constatez déjà les effets positifs ?

Tout n’est pas solutionné mais le nombre de candidats à la formation a augmenté de manière significative. C’est une bonne chose. Comme nous l’avons toujours fait, nous gardons le contact avec les associations professionnelles et EIT.swiss pour avancer.

Tu disposes d’un bagage impressionnant de 40 années de formation. Comment imagines-tu l’avenir ? Quelle est ta vision de la formation future de l’installateur électricien ? Le monde a bougé et va bouger plus vite.

Pour gagner en souplesse et en en agilité, j’imagine un système qui reposerait sur une formation de base durant laquelle l’étudiant acquiert tout ce qui est immuable (ou presque) dans le métier. Il y a des lois physiques qui ne changent pas, des techniques d’installation qui s’appuient plus ou moins sur les mêmes principes.  Bref, il s’agirait d’un cours pour tous avec reconnaissance fédérale.
Les étudiants ayant réussi leur examen pourraient choisir une ou plusieurs spécialisations, par exemple l’installation de panneaux photovoltaïques, l’automatisation ou l’informatique du bâtiment, les applications industrielles, le multimédia etc… Ces modules courts et intensifs seraient validés par EIT.swiss.
Je pense que ça créerait une dynamique, une envie de bouger et d’avancer parce qu’on propose un menu à la carte. Chacun y irait avec son rythme.

« Je pense que ça créerait une dynamique, une envie de bouger et d’avancer parce qu’on propose un menu à la carte. »

Quelle est la prochaine grande échéance ?

La cérémonie de promotion FORSIEL avec la remise des diplômes. Elle aura lieu à Paudex, au Centre Patronal, le 11 novembre. Nous organisons cet événement depuis de nombreuses années et sommes les seuls à le faire. Mais également les sessions d'examens de la CERPE qui à chaque fois concentrent plusieurs centaines de candidats en formation supérieure.

Nous nous y rencontrerons à nouveau. Domotech couvrira l’événement. Merci pour l’échange et à bientôt.

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