Des scientifiques analysent la base de données du discours suisse Swiss-AL et déterminent, pour chaque langue, les 30 mots qui ont été utilisés plus fréquemment ou de manière nettement différente en 2024 que les années précédentes. Ensuite, un jury de professionnels de la langue choisit les trois mots les plus marquants dans cette liste, parmi les propositions du public et sur la base de leur propre expérience. Enfin, les chercheurs montrent comment ces mots ont évolué dans l'usage linguistique en Suisse en 2024 et quels changements sociaux ils représentent.
Les humains et la machine ont élu les mots de l’année 2024. Basé sur la base de données textuelles Swiss-AL, contenant actuellement 1’293’364’381 mots provenant de 2’373’516 textes de 2024, le programme informatique de la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) a identifié les mots qui se sont distingués cette année. Des jurys issus des quatre régions linguistiques ont ensuite débattu des mots qui ont marqué le discours en Suisse en 2024.
Source du texte: ZHAW, Auteur: Pierre Schoeffel, Domotech
Illustration: ZHAW
Voilà un sujet qui s’écarte certes de notre ligne éditoriale habituelle, mais qui résonne parfaitement avec les activités qui nous animent chaque jour : la production de textes, l’utilisation des mots. Il est vrai que certains pèsent très lourd.
Le mot placé en troisième position du palmarès romand, est quant à lui, léger et nous renvoie à nos propres activités sur les réseaux sociaux. Vous le découvrirez plus bas dans le texte.
Cessez-le-feu, Unterschriften-Bschiss, non binario et segundimorant:a sont les mots de l'année en Suisse. En 2024, ils ont marqué le discours en Suisse et dans ses régions linguistiques – analysés scientifiquement et confirmés par le choix des quatre jurys composés de professionnels de la langue.
L’avis du jury romand
Il aura fallu moins de deux heures au jury réuni à Lausanne pour établir le palmarès 2024. En regard du plébiscite des Romand·e·s lors de la votation historique du 3 mars sur l’AVS, l’expression « 13e rente » partait favorite. Au final, celle-ci échoue au pied du podium.
A la quasi-unanimité, c’est cessez-le-feu qui est élu mot romand de l’année. Dans les pays en guerre, un cessez-le-feu représente un répit très attendu par les populations. Préalable à la paix, à Gaza, au Liban, en Ukraine et ailleurs, il offre en outre le fragile espoir d’une résolution négociée du conflit. En faisant ce choix, le jury a aussi voulu rappeler le rôle traditionnel joué par les bons offices de la Confédération.
Dans un monde dominé par la violence et le mensonge, les juré·e·s ont souhaité souligner le caractère particulier des violences faites aux femmes. Viols de guerre, violences conjugales, violence verbale. Suite à une discussion animée, c’est le terme de consentement qui se hisse sur la deuxième marche du podium. Le jury a en effet voulu souligner que la Suisse n’est pas épargnée par ce phénomène et qu’il est temps de reconsidérer le proverbe affirmant que « qui ne dit mot, consent ».
Pour la troisième place, quoicoubeh a facilement convaincu le jury par sa fraicheur juvénile. En Suisse romande, l’interjection – portée par Tiktok – a connu un succès aussi brusque qu’éphémère auprès des jeunes ados pour piéger de manière ludique et ironique leur interlocuteur ou interlocutrice.
Réflexions de la ZHAW et du jury sur les Mots romands de l’année
Première place: cessez-le-feu
En langage militaire, cessez-le-feu est un ordre donné aux soldats pour cesser le tir. Attesté peu après la Seconde Guerre mondiale, ce substantif a une qualité : quand on l’énonce, l’action est immédiatement réalisée. Or, paradoxalement, si le terme a été énormément utilisé cette année, il n’a pratiquement pas été appliqué. Omniprésent dans les médias et les discussions en Romandie comme ailleurs, cessez-le-feu a surtout résonné comme une supplication faite aux belligérants… Nous ne savons pas ce que donneront les développements récents au Proche-Orient et en Ukraine, mais tout cessez-le-feu, en plus de soulager les populations, représente au moins un engagement réciproque impliquant la confiance, base nécessaire pour la paix.
Deuxième place: consentement
De nature fondamentalement verbale, actif (on consent à quelque chose), le consentement repose lui aussi sur un lien de confiance entre les personnes. Sur le même principe que la promesse, le consentement accomplit ce qu’il énonce. C’est pourquoi le silence n’équivaut pas à un consentement. Grâce aux procès des viols de Mazan (France), le terme est devenu un symbole de la lutte contre les violences conjugales et extra-conjugales faites aux femmes partout dans le monde, y compris en Suisse. En choisissant ce mot, le jury a voulu souligner ce changement de paradigme en cours dans notre société.
Troisième place: quoicoubeh
Quoicoubeh, kezako ? C’est un jeu de langage auquel les ados ont joué intensément pendant des mois, avant de passer à autre chose. Le principe ? Vous dites quelque chose d’incompréhensible. Si votre interlocut·eur/rice réagit par un « quoi », vous refermez le piège en lui lançant un quoicoubeh suivi de rires. Enfin, vous savourez votre victoire en postant sur Tiktok le dialogue que vous avez inévitablement filmé.
Pied-de-nez au langage sérieux, l’interjection semble se baser sur l’homophonie de quoi et « Coup A », « coubeh » étant la forme orale de « Coup B ». Tu me fais un coup A, je te fais un coup B, et à la fin c’est moi qui gagne !
Le jury rend ainsi hommage à l’inventivité du langage oral chez les jeunes et à leur capacité à enrichir – même de façon éphémère – la langue française.
Dans les quatre langues nationales
Les mots de l'année en Suisse alémanique sont Unterschriften-Bschiss (fraude à la récolte de signatures), divers (divers) et Murgang (coulée de boue).
Les mots de l'année en Suisse italienne sont non binario (non binaire), allerta meteo (alerte météo) et nomofobia (emprunté à l’anglais no mobile phobia, le terme signifie la peur d’être séparé de son téléphone portable).
Les mots de l'année en Suisse rhéto-romane sont segundimorant:a (rédisent·e secondaire) vegliadissem (néologime signifiant approximativement âgisme) et festivitads (festivités).
Le mot romand de l'année
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Source du texte: ZHAW
Source de l'image: ZHAW
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